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Balalaïka’s not dead

Balalaïka’s not dead

Créée il y a deux ans, la petite entreprise de lutherie russe Balalaïker a relancé la production de balalaïkas traditionnelles en Russie et se bat contre vents et clichés pour re-populariser le plus célèbre des instruments russes. Le Courrier de Russie a rencontré l’un de ses deux fondateurs, Evgueni Kharlamov, et tapé le bœuf avec lui.

À la recherche de l’instrument perdu

Confortablement assis à la terrasse d’un café moscovite, Evgueni Kharlamov, 31 ans, gratte quelques accords sur sa balalaïka. La mélodie n’a rien à voir avec Kalinka – lui non plus, d’ailleurs. Ses cheveux longs, son sweat à capuche et son pantalon large font davantage penser à un guitariste de reggae qu’à un musicien folklorique.

« On peut jouer toutes sortes de musique avec une balalaïka », m’explique d’emblée Evgueni, avant de me tendre l’instrument à trois cordes.

La balalaïka est simple et légère – pas de dessin de type khokhloma ni d’ornements, comme on en voit sur les marchés de souvenirs, mais une finition propre et sans fioritures. « Une vraie balalaïka traditionnelle, sans vernis, que du bois pur : elle est vivante », précise-t-il, me voyant tourner l’instrument dans tous les sens.

Evgueni me montre brièvement trois accords en m’expliquant que seul l’index de la main droite doit frotter les cordes. Au bout de cinq minutes, me voilà en train de jouer de la balalaïka… « C’est la quatrième génération Balalaïker, se félicite le jeune homme. Un iPhone 4s, en quelque sorte. »

L’aventure Balalaïker commence il y a près de dix ans, sur les bancs de la fac de journalisme de l’université de Moscou. Evgueni, joueur de balalaïka depuis l’âge de 15 ans, y rencontre son actuel partenaire, Sergueï Klyuchnikov, autre « balalaïkiste », avec qui il monte un projet musical. « On s’est rendu compte que la musique russe traditionnelle était très proche de ce que j’écoutais à l’époque : la transe. Nous avons commencé à jouer de longues sessions d’une vingtaine de minutes, qui nous procuraient ce même sentiment d’extase », se souvient-il.

Le nombre d’intéressés ne cessait de croître, alors que l’offre était inexistante. C’est bête à dire, mais à l’époque, il était quasiment impossible d’acheter une balalaïka traditionnelle en Russie.

Les deux musiciens prennent conscience du potentiel de ce petit instrument triangulaire et cherchent à se produire à Moscou, mais ils sont très vite rattrapés par la réalité. « À peine les gens entendaient-ils le motbalalaïka qu’ils secouaient la tête de droite à gauche. Personne n’était prêt à écouter ce genre de musique, à l’exception de lieux liés à la culture orientale, comme les clubs de yoga », se remémore le jeune homme avec amertume.

En 2005, Evgueni et Sergueï décident donc d’élargir leur horizon et entreprennent plusieurs voyages à travers la Russie, principalement en Sibérie, dans l’Oural et dans le Grand Nord, à la recherche de vieux instruments traditionnels. Les moindres villes et villages sont passés au peigne fin : les deux jeunes gens ratissent les marchés aux puces, demandant à droite et à gauche si un artisan luthier ou collectionneur ne vivrait pas dans les parages, et découvrent, au fur et à mesure de leurs expéditions, que nombre de leurs concitoyens partagent en réalité le même hobby. « Chaque région avait au moins un fou qui collectionnait et jouait de la balalaïka ou d’un autre instrument traditionnel, poursuit Evgueni. Et l’apparition des réseaux sociaux nous a permis de nous rapprocher et d’échanger encore davantage. »

Résultat, les deux acolytes collectent, en l’espace de huit ans, une vingtaine de balalaïkas traditionnelles, ainsi que plusieurs dizaines de vieux outils de lutherie – pour finir par ouvrir, en juillet 2013, le premier musée de la balalaïka de Russie, à Oulianovsk, d’où Sergueï est originaire. Mais les deux musiciens ne se reposent pas sur leurs lauriers pour autant, et se lancent un nouveau défi : fabriquer leurs propres instruments. « Le nombre d’intéressés ne cessait de croître, alors que l’offre était inexistante. C’est bête à dire, mais à l’époque, il était quasiment impossible d’acheter une balalaïka traditionnelle en Russie », assure Evgueni.

La renaissance

Le jeune homme explique que jusqu’à la révolution de 1917, les balalaïkas étaient fabriquées à la main, dans les villes et villages. Les artisans les confectionnaient en hiver pour les vendre sur les marchés au printemps. « C’étaient des instruments simples, sans décoration, et surtout peu chers », note Evgueni. La confection de balalaïkas traditionnelles s’est éteinte dans les années 1930 avec l’avènement de l’URSS, qui a donné sa préférence à sa cousine académique, pensée et démocratisée par le musicien Vassili Andreïev fin XIXe-début XXe siècles. « La culture traditionnelle russe a été balayée au profit de la création d’une nouvelle, où notre balalaïka n’avait plus sa place », regrette le jeune homme. 
Ce qui explique que, pour se procurer une balalaïka aujourd’hui, le musicien en herbe n’a le choix que de chiner, sur Internet ou sur les marchés, ou d’investir dans un modèle d’étude (ou académique), moins adapté au jeu traditionnel. « Pour la plupart des gens, la balalaïka académique est considérée comme un instrument sur lequel il faut étudier pendant des années pour se permettre d’en jouer. On interprète dessus toutes ces chansons écrites au cours du XXe siècle par Andreïev et son école, et reprises de nos jours par les ensembles musicaux populaires. Mais en réalité, elle est loin du peuple – et nous voulions rendre à ce dernier ce qui lui appartenait », affirme Evgueni, précisant que la gamme de prix de ces bijoux académiques commence à 12 000 roubles, pour atteindre des sommets. 
Convaincus et passionnés, Evgueni et Sergueï s’attaquent courant 2013 à la difficile mission de faire renaître l’instrument. Ils contactent tout d’abord des luthiers « académiques », en vain, ces derniers refusant de livrer leurs secrets de peur d’être volés. Déterminés, les deux jeunes musiciens brisent balalaïka sur balalaïka afin d’en étudier la fabrication, mènent des expériences et demandent conseil à des luthiers travaillant sur des guitares et divers instruments. 
Le but n’était pas de faire du profit mais de produire des balalaïkas traditionnelles en série, de montrer que c’était possible. 
Le travail porte ses fruits, et leur premier modèle voit le jour sur papier fin 2013. Evgueni et Sergueï doivent désormais trouver un atelier de production capable de réaliser leur bébé. Essuyant nombre d’échecs dans leur pays, ils sont finalement contraints de se rendre en Finlande pour faire fabriquer, en avril, leurs dix premiers exemplaires. « Nous n’arrivions pas à trouver en Russie des gens habiles de leurs mains et intéressés par le projet. Ils ne comprenaient pas l’intérêt de produire en série ces instruments ici. Pourquoi faire des instruments accessibles, alors qu’on pourrait n’en faire que deux, les vendre 1 000 euros pièce, et ne plus rien faire pendant deux mois ?, nous répondaient certains artisans russes », regrette Evgueni.
Afin de couvrir les frais de fabrication, Evgueni et Sergueï mettent en prévente leurs futurs instruments. La balalaïka est vendue 150 euros – soit ni plus ni moins que son prix de revient. « Le but n’était pas de faire du profit mais de produire des balalaïkas traditionnelles en série, de montrer que c’était possible », martèle Evgueni.

Balalaïka contre-attaque

Ainsi naît la petite entreprise Balalaïker, qui, à peine ses dix exemplaires remis, s’empresse de préparer une nouvelle fournée dès l’été suivant. La production est désormais localisée en Russie, où les deux entrepreneurs sont parvenus à trouver des ateliers conformes à leurs exigences. Le bois – du hêtre et de l’épicéa – est préparé à Saint-Pétersbourg puis envoyé à Oulianovsk, où il « devient » un instrument de musique. 
Un changement de stratégie qui n’a toutefois pas été sans surprise. « Produire en Russie n’est pas plus cher, c’est seulement plus difficile. Tu expliques ce que tu veux, tu le montres à l’artisan, et, tant que tu es à côté de lui, il fait comme prévu. Mais dès que tu t’absentes, il commet l’irréparable : il commence à penser ! Je me suis dit que ce serait mieux comme ça, me disent-ils, en me montrant un instrument différent du modèle prévu. Chaque livraison est comme une loterie, on ne sait jamais ce que l’on va obtenir », raconte le patron, non sans un sourire. 
Balalaïker produit depuis 200 instruments par mois, dont des modèles quatre, cinq et six cordes et des balalaïkas électriques, et confectionne même des cordes. Face à ces rythmes de fabrication, en septembre 2014, Evgueni et Sergueï ont dû quitter leur travail, respectivement de chef de projet et de manager dans une banque, pour se consacrer à leur nouvelle activité. Aujourd’hui, ils gèrent la chaîne de production de A à Z, travaillant personnellement sur la conception de chaque nouvelle collection et gardant une oreille attentive aux retours des clients.
En tout, les deux amis ont investi quelque 100 000 euros en deux ans sur leurs fonds propres et affirment être aujourd’hui à l’équilibre. « Nous régulons notre production par rapport à la demande. Elle est plus importante en été, période des festivals, et traditionnellement plus faible après Noël. L’automne est aussi une saison très active pour nous, puisque c’est la période des achats des écoles, qui ont commencé d’acquérir nos instruments pour leurs groupes folkloriques. Notre développement est très positif mais il est difficile de commenter le marché puisque nous le formons nous-mêmes ! », souligne Evgueni. 
Le but est de faire de la balalaïka un instrument normal, accessible au plus grand monde. 
Jusqu’à l’arrivée de Balalaïker, le marché de la balalaïka en Russie se résumait essentiellement aux modèles académiques, produits par une seule usine à Saint-Pétersbourg, et aux instruments fabriqués en Roumanie, au Portugal, en Ukraine, aux États-Unis et au Pakistan, explique le jeune musicien. 
Mais la récente crise économique et la chute du rouble ont fait de la petite compagnie russe – qui vend ses instruments 8 500 roubles, soit le prix le moins cher du marché – l’acteur le plus concurrentiel du pays. « Le but est de faire de la balalaïka un instrument normal, accessible au plus grand monde, et qui ne serait pas connoté comme étant réservé aux fous, aux folklo’ et aux idiots », explique mon interlocuteur. 
Pour ce faire, les deux hommes consacrent dorénavant la majeure partie de leur temps à populariser et promouvoir leurs instruments à l’occasion de divers festivals : folkloriques, pour enfants, de sports extrêmes, d’ateliers dans les parcs, etc. Balalaïker devrait en outre ouvrir, à l’automne prochain, une boutique-musée-café dans le centre de Moscou, où il sera possible de jouer, discuter et boire un thé ou une bière artisanale. 
vgueni et Sergueï dispensent enfin, à Moscou, des cours pour débutants, tous les jeudis, au tarif de 300 roubles les deux heures (500 avec location du matériel). « Le plus dur, c’est de réussir à mettre l’instrument dans les mains des gens – une fois que c’est fait, ils adhèrent de suite. Je n’ai jamais vu quelqu’un qui aurait pris une balalaïka et serait resté insensible !, conclut le jeune balalaïkiste, avant de s’en emparer d’une : Bon, on joue maintenant ?! »



Thomas GRAS, Le Courrier de Russie
 
Источник: http://www.lecourrierderussie.com/culture/2015/06/balalaika-s-not-dead/

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